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Hanafuda #2

Une couleur est bien plus qu’une longueur d’onde saisie par les cellules de la rétine. C’est aussi un écheveau serré fait de mémoire individuelle et de codes culturels. Pour commencer à saisir cette complexité, il faut commencer par enlever à la lecture son évidence, lui fournir des codes nouveaux et décalés. C’est l’objectif que visait ce travail, fait à l’occasion d’une résidence à Chyofuku Art Space, à Kurume (Japon) en 2009.

Quand on est à l’étranger, dans un pays éloigné de son pays d’origine, on peut déjà commencer à saisir que les codes attachés aux couleurs ne sont pas les mêmes. « Qu’est-ce que le rouge ? », par exemple, n’a pas exactement la même réponse. Certaines couleurs peuvent même ne pas avoir de nom, d’autres prendre des noms différents selon le contexte, etc. Et dans le paysage, l’architecture, les objets du quotidiens, les couleurs sont associées différemment.

À l’origine de cet objet/installation, il y avait l’envie de refaire le point sur les couleurs et leur relation avec leur présence autour de nous, établir une sorte de dictionnaire basique, presque à la manière des imagiers pour enfants : « ceci est vert », « ce poteau est orange »… J’ai ainsi pris des dizaines de photos dont le sujet était une couleur, clairement associée à un objet ou un élément du paysage japonais que je côtoyais. Mais, bien sûr, montrer ces images à un public japonais n’aurait eu qu’un faible effet au regard de la défamiliarisation que je visais (excepté peut-être celui lié à la sélection ?) D’où l’idée de superposer aux images un code familier aux japonais pour « lire » les couleurs.

Il existe au Japon un jeu de cartes nommé « hanafuda »(1), dont les motifs sont du même genre : animal, plante, objet composant une petite saynète très stylisée. Ce type de cartes est utilisé pour des jeux basés sur des combinaisons portant des noms conventionnels, où les couleurs interviennent plus ou moins : « regarder la lune en buvant du saké », « trois lumières », « rubans bleus », « animaux »… Il faut noter qu’au Japon les cartes sont plus généralement utilisées à des fins d’apprentissage (voir par exemple les « iroha-karuta », cartes pour apprendre le syllabaire hiragana).

J’ai donc choisi de juxtaposer le système des combinaisons du hanafuda avec mes photos de couleurs, sous la forme de noms de combinaisons, en caractères japonais, en blanc sur noir(2). Enfin, j’ai ajouté des valeurs de « référence » de couleurs, sous la forme d’aplats de teintes choisies dans les nuanciers traditionnels du Japon (tels que ceux utilisés dans les motifs de tissus ou de décoration), eux aussi relativement codifiés(3). L’objet produit est un ensemble de cartes réparties en 3 séries : les photographies d’objets (48 cartes), les noms de combinaison (25 cartes), les aplats de couleur (12 cartes).

Les cartes font 10x10cm. Elles sont montées sur du carton épais et portent des aimants au verso, pour pouvoir être facilement posées sur une surface métallique. L’idée était de les présenter en grands diagrammes combinant les 3 séries, pouvant être remaniés par les spectateurs.

Une version simplifiée a été montrée à l’université Kyushu Sangyo de Fukuoka, puis à Chiyofuku Art Space, en juillet 2009.


  • (1) Un jeu de hanafuda comporte 48 cartes, groupées en 12 séries de 4, associées aux douze mois de l’année et à un végétal (fleur, herbe ou arbre). Les dessins sont très stylisés et les couleurs simples (traditionnellement imprimés en sérigraphie, elles se limitaient à 3 ou 4, dont obligatoirement le rouge et le noir). Vous pouvez en voir d’autres exemplaires sur le site de ma collection. Pour plus d’informations, consulter la présentation générale sur Wikipedia et un aperçu de l’histoire de ces cartes sur Andy’s playing cards (en anglais).
  • (2) Les combinaisons sont celles du jeu de Hachi-Hachi, telles que résumées sur la règle d’un jeu de la marque Angel. (Voir l’exemplaire ici.)
    • (3) Je me suis basé sur deux ouvrages japonais : The traditional colors of Japan (日本の伝統色 その色名と色調) de Seiki Nagasaki (Seigensha, 2008 – isbn 9784861520716) et Layered colors (かさねの色目), de Seiki Nagasaki (Seigensha, 2009 – isbn 9784861520723).

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